La mauvaise altitude

Au commencement, on m’a détecté un problème d’attitude.

J’attaquais le sol joyeusement avec la pointe, le frôlant à peine, semblant le provoquer, agacer la poussière, rebondir mélodieusement, comme si la douleur n’avait pas sa place, l’économie aucune bribe d’importance, sans poser le talon maladroit en guise d’excuse feinte. La course me semblait ne devoir durer qu’une seconde, à peine, déjà achevée lorsque je toucherai la terre turbulente, rejouant sans cesse, inlassablement, ce même tour, me jouant de moi, et de tout le reste, dans un piaillement inconséquent. Une altitude légère, une pression de débutant. Un vieil homme, qui trottinait lentement chaque semaine près du lac que j’affectionnais m’avait surnommé la biche. Il disait en souriant mollement: «tu n’iras pas loin, petite, avec ce genre d’attitude; corrige donc ton attitude.».Sa voix fut grossie de celle des autres, de l’autre, et puis de lui. Lui aussi disait que mon attitude ne m’emmènerait pas loin et très certainement pas au bout d’un marathon- et très certainement pas au bout de quoi que ce soit. Un an plus tard, enracinée dans un sol silencieux, je finissais cette course suivant le conseil de la raison, me blessant mille fois et plus encore, acceptant cette douleur sourde lancinante comme prix à payer de la réussite tue. Ma foulée rasait le sol, humble et calculée; économe et méthodique. La vieil homme, les autres, l’autre, et puis lui, me dirent que j’avais progressé et que j’étais sur le bon chemin. De stratégie de course en méthodologie existentielle, il n’y a qu’un pas- rasant ou sauté, on ne s’en soucie pas.

Les chemins se croisent, les lacets de nos routes et de nos souliers se font et se défont. Le vieil homme court peut-être toujours à cet endroit, où moi, je ne  vais plus.

J’ai continué mon parcours, gardant en tête les conseils sages qui devaient me mener par delà, moins haut, moins vite, mais plus loin. Le marathon de Paris fut une réussite, mais une entreprise empreinte de complicité que je menais efficacement avec mon ami, mon frère, la jolie rencontre. Si la musique manqua, nous ne nous en aperçûmes pas, tant nos rires de joie couvrirent la probable tranquillité. L’Ecosse, fin septembre, signerait le passage à la solitude et raviverait une question restée sans réponse. Ne pourrais-je pas boucler une distance de 42 kilomètres en courant ainsi, sur la pointe, contre toutes les indications, en seule adéquation avec mon mauvais naturel?La préparation fut âpre et injuste. Je me brisais une côte et me présentais avec une bronchite qui m’avait suivie durant tout un mois auparavant- provoquant mon infortune osseuse. En outre, le parcours du Loch Ness jouait ironiquement sur les changements de hauteur, enchainant côtes assassines et descentes infernales. Je ne parvins pas à tenir l’objectif d’un temps escompté de 3H30. A trois minutes près. 3 heures, 33 minutes et 34 secondes: ce fut à cette vitesse que je pouvais, ce jour là, courir sur la pointes de mes pieds, avec cette mauvaise attitude qui ne mènerait nulle part et me laisserait seule. Il avait raison, ils avaient tous raison; le vieil homme, les autres et l’autre, et puis lui. Cela ne me mène nulle part. Mais qui peut prétendre sans ridicule à davantage? Par delà, il n’est rien de plus, plus loin s’évapore toujours le but, aussi ai-je repris mes petits bonds solitaires, isolée comme tout un chacun peut l’être malgré nos subterfuges, désertée vers le haut. Visant plus élevé, encore et encore un peu.

Les chemins se croisent. Plus de vieil homme, de nouveaux autres, peut-être un autre, plus jamais lui, et déjà elle. Je garderai ma mauvaise attitude. Et puis aussi, le ridicule de ma foulée. Contre cette musique en altitude, je ne veux plus rien échanger.

Massoudy

Seul ensemble.

Les semaines passent. Je cours davantage que je ne l’écris. Notre groupe d’entrainement demeure bien que les écarts de niveaux se creusent drastiquement. Je me rapproche du niveau de Julien, Guillaume talonne de près Laurent qui tend à s’échapper, devant, de plus en plus lointain, Ludo passe le mur du son avec un 10 kilomètres en 36 minutes et un 20 kilomètres en 1H19.

Quant à moi, j’inscris de nouveaux « records » personnels, autant de petites médailles et de silencieux dossards qui viennent se placer discrètement dans mon placard à vêtements.Quelques 45 minutes sur 10 kilomètres, 1H36 sur 20 kilomètres. Mais aussi des déconvenues, tout n’est pas linéaire et c’est bien ainsi.

A ce stade, en outre, plus aucun de nous n’a vraiment le même niveau. Aussi, si les entrainements sur piste ne posent aucun souci comme chacun va à son rythme, il ne peut en être de même pour les sorties de footing. Aussi avons-nous trouvé cette parade visant à nous inscrire dès que nous le pouvons à une course. Une course présente l’avantage de se mettre dans des conditions particulières de concentration et à chacun de réaliser un entrainement qui lui correspond. Une course c’est l’échange de sms à 5H du matin devant son gâteau énergétique. Une course c’est le billet en papier recouvert de scotch avec les temps de passage. Une course c’est presque un match en équipe !

Ludovic est le premier et le meilleur de notre équipe. Moi, je suis la dernière et la plus mauvaise. Nous sommes théoriquement et pratiquement loin. Mais paradoxalement, nous sommes en réalité très près. Durant les courses, je lui disais récemment  que je pensais à lui durant le parcours et que je m’amusais en voyant une branche, un panneau kilométrique, une montée, en me disant « tiens, il est déjà passé là, lui« . Je regarde quand la course le permet les coureurs au loin et je m’interroge: Est-il parmi eux, déjà? Ou plus avancé encore? 

Lui aussi y pense, il sait que plus tard, bientôt, quelques ou plusieurs minutes après, je serai à mon tour là où il est. Je pense à Ludovic, mais je pense aussi à Laurent qui souvent me rattrape et me dépasse dans un encouragement sur la fin du parcours, je pense à Guillaume qui avance à son allure régulière inexorablement irratrapable, et je pense à Julien qui n’est pas loin devant et parfois je me dis que je vais peut-être le retrouver- un de ces jours prochains, s’il n’y prend pas garde, je le retrouverai.

Les entrainements communs consolident les muscles et les coeurs. Le lien se renforce au cours des fractionnés. Nous sommes tous seuls durant nos courses aujourd’hui, mais notre compagnonnage nous relie. Nous sommes seuls, mais ensemble. Nous sommes un seul ensemble.

La course à pied est sans doute une juste allégorie de l’existence. On court comme on vit: toujours seul. Mais savoir, sentir, se souvenir, que d’autres sont passés ou passeront par là, sans toujours donner du sens aux choses, donne simplement, parfois, le sourire. Et il n’en faut pas davantage.

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Je mets un billet sur ta tête.

Hier s’est déroulé comme prévu le marathon de Paris sur lequel j’étais engagée. Grâce à Good People Run, le réseau social pour coureurs,  j’ai rencontré des copains formidables pour aller courir, tel que Gui le mercredi matin très tôt, Laurent le week-end, beaucoup plus régulièrement Julien, quand son emploi du temps le permet : mais le partenaire d’entrainement privilégié depuis plus de deux mois, à raison de quatre séances par semaine sans exception, c’est Ludovic. Sur le semi-marathon un mois auparavant, nous avions déjà le contrat visant à me faire terminer en moins de 1H45, ce qui fut chose faite en 1H44. Mais sur ce marathon, et pour voir ses prouesses à l’entrainement, nous avions concocté un autre plan. L’idée visait à rester ensemble jusqu’au 30e kilomètre, en me calant sur mon rythme de 3H45 et qu’au 30e il me lâche pour gagner un peu de temps et voir ce qu’il avait dans le ventre. Les semaines passant, je commençais à presque culpabiliser de le « retenir » avec moi jusqu’au 30e, le condamnant ainsi à un temps au dessus de 3H30 qui ne reflétait en rien son niveau véritable.

Alors, lors de la dernière semaine, j’ai eu une idée. S’il me laissait au 30e, et se mettait à courir les 12 derniers bornes à 14.4 kms.h il pouvait finir en 3H30. 12kms à cette vitesse, je l’avais vu le faire à l’entrainement, l’inconnue résidait donc alors dans le fait d’avoir au préalable 30 bornes dans les jambes, même à une allure basse pour lui. Moi de mon côté, avec 1h44 au semi, mon objectif de 3h45 semblait le plus beau à aller chercher à ce moment de l’année.Pour conclure, je lui ai donc dit: « eh bien moi, je mets un billet sur ta tête« . Chose à quoi il a répondu: « soit, alors moi aussi« . J’ai préparé la veille deux étiquettes à coller sur nos montres respectives qui disaient « Je mets un billets sur ta tête… ». Avec un logo en forme d’avion, en référence au surnom de Ludo: l’A380. Si au 30e, nous gardions le billet sur nos montres, alors l’un et l’autre devions tenir nos engagements, bien que nous ne soyons plus ensemble. Notre promesse nous garderait liés dans nos solitudes.

Après le passage apocalyptique pour moi au niveau des quais, ponctués de montées terribles, nous avions cependant déjà remonté de presque 4 minutes sur l’objectif de 3H45. Pour moi, il fallait alors tenir les 12 kilomètres à cette allure sans baisser trop pour garder l’avance ou au moins ne pas trop m’écrouler pour ne pas faire plus de 3H45. Pour Ludovic, 3H30 était touchable de 4 minutes en moins…Alors au 30e, on s’est regardé et puis il m’a dit : « alors? moi je mets un billet sur ta tête !« . J’ai acquiescé en disant que moi aussi. Et alors que j’ai vu partir dans une accélération incroyable mon fidèle copain, j’ai hurlé dans la foule étonnée:

« je mets un billet sur ta tête mon ami !« .

Au 33e km, ma famille et mes proches m’attendaient, j’étais galvanisée. Les quais passés, l’engagement pris, je me forçais à tenir autour de 11.5 kms.h dès que je le pouvais. Sur le chemin, j’ai croisé un copain, Giao, en grande souffrance, que j’ai essayé d’encourager de mon mieux. J’ai pensé à Guillaume parti dans les 3H30 qui devait être presque arrivé. J’ai pensé à Julien qui ne nous avait pas retrouvé au départ et j’ai espéré qu’il allait bien pour son premier marathon. J’ai croisé aussi Grégory de la Runnosphère, qui m’a accompagné quelques dizaines de mètres sur les derniers kilomètres en m’encourageant avec beaucoup de gentillesse. Et dans ma tête, je pensais à mon ami, Ludo.

Il était parti au 30e mais nous courrions toujours ensemble. Mon cerveau a passé en revue toutes les séances faites ensemble, toutes ces fois où on a fait plus que demandé à l’entrainement. Et cette phrase  » je mets un billet sur ta tête« . Entêtant, incontournable. Je savais qu’il ferait 3H30 si je tenais mon 3H45. Mais je voulais à présent garder nos 4 minutes d’avance. Alors, au milieu des presque cadavres et des mines déconfites, j’ai souri. J’ai tapé dans le dos de ceux qui marchaient, j’ai même accéléré quand j’ai vu la fin arriver.

Et je suis moi aussi arrivée. En 3H41 et 14 petites secondes. Ludovic était là. Malgré les demandes pressantes de l’organisation visant à le faire avancer plus loin, il était là. Il guettait sa montre, anxieux, comme à l’entrainement. Je l’ai vu de loin. On s’est tombés dans les bras quand j’ai passé la ligne. Il avait fait 3H29. Je crois que j’ai un peu pleuré. Mon cerveau a déconnecté quelques secondes. Un homme nous a pris en photo tant l’émotion était palpable. Ces semaines d’entrainement, sous la pluie, sous la neige, dans la nuit du soir et du petit matin, tout ce temps passé ensemble à souffrir et nous dépasser, mais rire et partager aussi, c’est tout cela qui nous a porté.

Et le sourire de nos proches, leurs encouragements, leur gentillesse et leur présence, l’après-midi qui a suivi, cette fois tous ensemble, avec Gui et son 3H29, et Julien et son 3H59 pour son premier marathon et pas mal de blessures et autres contrariétés sur son agenda d’entrainement. Nous remettons ça fin septembre.

En attendant, ce jour restera pour moi le jour où j’ai souffert certes physiquement, où il a fallu du mental fort comme sur chaque course telle qu’un marathon, mais ce chronomètre, s’il faut l’attribuer à une chose, et une seule, ce serait définitivement à l’amitié. Je mets un billet sur la tête de l’amitié. Merci mon ami.

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De l’obstination.

L’obstination est un nom féminin. Pourtant, mardi dernier elle fut dignement représentée par deux hommes et moi-même. En ce mardi soir, Ludovic, Julien et moi-même, devions pour suivre notre plan d’entrainement marathon, courir comme des lapins sur 200 mètres, nous reposer 45 secondes, c’est à dire plus précisément, ne pas nous reposer, pour repartir immédiatement. Il fallait répéter ce manège absurde aux yeux des hommes, huit fois de suite, s’accorder une sieste honteuse de 3 minutes, qui rappelle combien le temps est une donnée relative au regard du contexte, et puis repartir pour une nouvelle série de 8. Avant et après, le plan préconisait de courir entre 30 et 15 minutes. Ce que le plan ne savait pas et que nous allions bien vite découvrir en appelant le stade à 17H, c’est que celui-ci était fermé. Pas de stade, pas de piste. Pas de piste, pas de fractionnés? Avec une couche de 35 centimètres de neige, la personne qui me répondît au téléphone m’informa de cette funeste nouvelle-en outre, quand je m’enquis de savoir si elle escomptait mieux pour demain, elle me fit remarquer qu’elle était agent de maintenance, non pas météorologue. J’en fus donc pour mes frais et commençais à avertir les deux copains de la problématique qui s’offrait à nous.

Mais à 17H, encore plein d’entrain et de détermination, au chaud chacun dans nos canapés ou fauteuils, après échanges de 30 textos à la minute, nous décidons tout de même de maintenir cette séance. J’ai repéré une ligne un peu droite, avant d’arriver au bois, une allée sans voiture, calée entre le périphérique en surplomb et donc éclairée, avec le bois sur son autre bord. Il y a même des barrières, aussi, avec un peu de chance, nous aurons au moins un repère. Le plan nous semble d’enfer, nous sommes définitivement trop rusés ! Nous nous donnons rendez-vous pour 19H chez moi. De mon côté, je cravache mes articles, Julien se presse de revenir de son travail dans Paris, loin de notre point de ralliement, il arrive à l’heure à la maison pour se changer rapidement, et nous attendons notre 3e acolyte, Ludovic, toujours à l’heure. Sauf que cette fois, à 18H45, Ludovic est toujours dans sa voiture et sent que la galère ne fait que commencer pour lui. Il nous avertit qu’il risque d’avoir du retard. Nous le rassurons en lui disant que nous pouvons attendre. Bonne attitude de notre part car nous allons en effet devoir attendre.Attendre longtemps. Ludovic n’est qu’à 8 kilomètres de nous, si proche que nous pourrions presque le rejoindre en courant sur la départementale, mais la voiture est coincée dans le trafic. Il est plus de 20H et notre ami peste contre tous les diables, il désespère et se demande s’il ne va pas poireauter là des heures durant pendant que Julien et moi devisons patiemment . Finalement, dépité, Ludovic nous invite à y aller sans lui. Au dehors, la neige tombe presque en tempête et la ville semble aussi déserte que dans des films d’horreur lorsqu’elles tombent aux mains des zombies. Aussi, par grand altruisme et vaguement un peu pour repousser ce moment qui risque d’être grandiose, nous lui disons que nous l’attendons quoi qu’il en coûte. A ce stade, nous pensons que même si nous devons faire cette séance en pleine nuit, elle sera faite. Finalement, Ludovic arrive chez lui et le rendez-vous est donné pour 21H à peine, devant notre point de chute, le Mac Donald, détail sans aucune importance pour le récit, mais qui fait toujours sourire les coureurs qui tiennent un régime scrupuleux. Un Mac Donald comme point de rendez-vous pour des marathoniens? Venez-comme vous êtes dit leur slogan, alors…

A la lueur des lampadaires, dans les rues totalement désertes de toute âme et même de véhicule, nous partons en direction du bois. Nous sommes contents de nous retrouver enfin, nous commencions à douter, or l’abandon ne s’avère aucunement une option. Un jeune couple se précipite dans le café que nous dépassons et la jeune femme de s’exclamer : »eux, ils ont du courage!« . C’est vrai madame, nous en avons. Mais parfois, la frontière entre courage, bêtise et folie peut s’avérer ténue…Pour l’heure, il règne une ambiance étrange. Nous sommes boulevard Murat, un immense boulevard, et nous courrons comme des lapins mécaniques au milieu de la route. La ville semble nous appartenir, nos pieds s’enfoncent littéralement dans des centimètres de neige, nous forcent à bondir plus que d’habitude, donnant à notre foulée une impression de ressort, et Julien et moi, qui ne portons pas de lunettes, devons courir souvent les yeux mi-clos , ou ouvrir un oeil, puis l’autre. Nous rions nous-mêmes de nous voir ainsi déambuler, tels des fantômes irréels . Nous entrons dans la forêt, évidemment sans lampe frontale, sur un chemin de racines, où nous nous faisons tout légers pour tenter de ne rien effleurer de malencontreux pour nos chevilles. Le vent dans le nez, nous nous transformons vite en bonhommes de neige animés…Les sourires se figent sous le froid, mais demeurent.

Arrivés au point que je visais, nous constatons que certes, nous avons bien une ligne, mais que la dite ligne est aussi recouverte d’une épaisse couche de neige. Que faire? Nous sommes là, il est 21H15, il fait nuit, nous mourons littéralement de froid, alors nous rions et regrettons amèrement de ne pas avoir pris de quoi filmer ce spectacle totalement improbable. Nous décidons de calculer combien font 200 mètres avec mon podomètre farceur et le GPS susceptible de Julien. Partant d’une barrière, nous commençons notre entreprise. Le repérage est sommaire, mais tient la route, sans mauvais jeu de mot. D’un côté nous avons une barrière et de l’autre côté, nous traçons une ligne dans la neige, comme une marelle dans une cour d’école. Les trentenaires sont retournés en CM2, et ce soir, tu vas voir ta gueule à la récré.

Nous lançons les chrono pour la dite « récréation » et tels des possédés, nous nous élançons dans la nuit, le vent bien de face dans la trombine, la neige dans les yeux, sur notre ligne de fortune qui glisse, s’enfonce et dérape vaguement. Les deux garçons dépassent allègrement en vitesse les 47 secondes pour boucler ces 200 mètres. Quant à moi, et contre toute attente, je les tiens. Les quatre premiers passages furent à peu près honorables, mais à partir de là, la grosse galère a vraiment commencé. Les mains gelées envoient des douleurs lancinantes sous les gants mouillés, les pieds sont trempés, les orteils gèlent, le visage ne peut plus s’animer, certains 200, je dois courir les yeux fermés tellement le vent projette de la neige dans ceux-ci. Julien use d’une fourberie sans scrupule et toute personnelle pour se caler dans le sillon de Ludovic qui se prend donc le vent tout en protégeant malgré lui notre pote. Et alors que nous pouvions encore échanger lors des premiers passages, dès la 5ème arrivée, il n’y a plus un mot murmuré entre les souffles saccadés , juste le décompte lancinant de Ludovic qui nous assène toutes les secondes que nous perdons à nos 45 de repos et répit. Lorsque la première série s’achève, je peux tout juste leur faire partager ma furieuse et inexorable envie de vomir. Nous avons 3 minutes pour nous « reposer », nous entamons donc de minuscules cercles quasi sur place. Au loin, un promeneur nous scrute avec inquiétude. Quelle est donc cette bande de trois cinglés en train de tourner sur eux-même par -5C° en pleine nuit? Une secte. Des échappés d’un asile? Rien de bon, c’est certain. A ce titre, alors que les 3 minutes s’achèvent déjà et que nous devons, en piteux état, repartir sur notre ligne, le vieil homme voit alors débouler à toutes blindes les trois fous ! Il s’arrête pour nous regarder fondre sur lui, se calant sur le côté du chemin. Nous le dépassons évidemment, et allons recommencer notre manège de cercles concentriques de l’autre côté. L’homme reste un instant immobile, interdit. Dans notre groupe, plus un seul mot. La souffrance s’accroche à chaque flocon, mais au fond, tout au fond, nous rions de nous-mêmes, de cette situation ubuesque, de cet homme, de cette ligne qui ne ressemble à rien, de ces exercices qui n’ont aucun sens si ce n’est le nôtre. Il faut déjà repartir et l’homme voit à nouveau passer les dératés. Il reprend sa marche lente et finit par nous dépasser en nous lorgnant à la dérobée, sans un mot, de risque d’attiser nos éventuelles folies meurtrières. Pour nous, il reste 3 fois 200 mètres à faire. C’est là que Julien commence à vouloir en découdre avec Ludovic. Evidemment, eux ne tiennent absolument pas le plan de 3H30, mais ils s’amusent et quant à moi, je suis tel un métronome, sur mes 47 secondes. Avant de faire notre dernière ligne, Julien nous demande « et après? On fait un tour de lac?« … »On va voir » lui répond on de concert Ludovic et moi. La course à pied aide à vivre dans le présent, nous savons qu’il peut se passer beaucoup de choses en 47 secondes aussi évitons nous les promesses hâtives et les prompts engagements.

Nous partons sur nos derniers 200 en lâchant aussi les dernières forces, moi je ferme les yeux, de toutes façons, je ne vois rien depuis le début, et c’est une ligne droite, je me dis que tout ceci est aussi improbable que drôle, finalement. A l’arrivée, les gorges sentent le goût du sang, les mains hurlent, les peaux se déchirent un peu mais Julien n’ayant pas eu sa réponse quant à sa proposition, nous nous jetons un oeil, et puis presque en une seconde, sans réel accord prononcé, nous repartons. Tour de lac, il y aura. Trempés, transis de froid, sautant dans les flaques vicieuses cachées sous la neige, nous avons rajouté un bon quart d’heure à cette séance apocalyptique. Les filles de joie dans les voitures qui attendent leurs clients regardent passer les 3 silhouettes, qui ne viennent pas pour elles assurément. Ce soir là, nous avons du faire le sujet de bonnes histoires le lendemain : » les filles, vous avez vu les trois dingues qui couraient dans la tempête hier?!« .

Sur le chemin du retour, il est déjà presque 22H bien passés, la ville est encore plus silencieuse, la neige plus dense, nous sommes littéralement seuls, nous pouvons traverser au vert comme bon nous semble, zigzaguer dans le boulevard, tourner sur le rond point, nous étendre sur le sol, hurler, il n’y a plus d’être humain, on eut dit une ville en carton, des décors de cinéma. Nous sommes recouverts d’une fine couche de glace, nos visages sont figés et nous avons du mal à parler, ce qui ne nous empêche pas de deviser sur le mauvais calibrage de ma montre, sur le marathon qui approche, sur la prochaine bouffe la semaine d’après, qu’on va se faire pour nous donner du courage. Il règne dans l’air un parfum de transgression. Nous n’aurions pas du être là, la Nature a tenu tous les hommes en respect chez eux et nous sommes allés la taquiner, mais fort étrangement, devant tant d’obstination, nous avons bien du lui inspirer du respect car sur le chemin du retour, étrangement, pour un court instant, la neige a cessé, nous avons eu moins froid, et nous avons pu contempler ce spectacle incroyable,écouter ce silence parfait troublé par le simple bruit de nos pas qui s’enfoncent dans la neige, à la lumière orange des lampadaires, dans cette ambiance entre surréaliste et onirique.

La compagnie s’est finalement séparée là,  devant le Mac Donald presque vide, bien contente d’elle, au fond, comme cela se lisait sur les sourires congelés, comme des gosses qui ont fait un mauvais tour mais seraient enclins à recommencer immédiatement s’ils le pouvaient. La semaine prochaine, le trio espère néanmoins retrouver une piste traditionnelle. En attendant, Ludovic et moi, comme voisins, continuons nos sorties le soir, à la nuit tombée, quand tout le monde rentre hâtivement se calfeutrer au chaud, vers 19H, nous partons vers les bois gris noirs, ou la piste orange et ses lumières criardes.

« Je me demande ce que toutes ces sorties feront le jour du marathon » me dit Ludovic hier soir, à 12kms.h sur une sortie qui devait  quant à elle, être à 10. Je n’ai rien répondu sur le moment, mes pensées étaient restées derrière. A tête reposée, je crois que toutes ces sorties ne feront rien de plus le jour du marathon que tous les autres jours qui suivront. Ces sorties ne sont rien d’autres que des instants, des moments, du présent qui deviendront vite des souvenirs. Des souvenirs, le fuel du coeur le jour J, et à jamais.

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De l’engagement.

203Avec mes obligations de compte-rendus bien normales étant à la fois membre de la « Runnosphère » et ambassadrice de Good People Run, j’en aurais bien délaissé mon vieux blog souvent silencieux. Mais je ne peux l’abandonner ainsi, car quelque part, au tout départ, avant le journal Zatopek qui m’a fait confiance il y a plus d’un an sur ce seul blog, et avant Runner’s World pour lequel j’ai la joie de pouvoir annoncer qu’un de mes articles est actuellement en cours de relecture en interne pour la publication française, il n’y avait que lui, ce petit blog. Alors, je lui dois un billet, pour raconter ma participation au semi marathon de Paris. A toi lecteur, je commencerai par te révéler ce qui préoccupe souvent l’esprit. Le temps et l’objectif car là n’est pas, paradoxalement, l’essentiel de mon propos. Je visais 1H45 pour me rassurer en vue de ma participation au marathon de Paris avec un temps espéré de 3H45. C’est chose faite comme je termine ce semi en 1 heure, 44 minutes et 22 secondes cruciales s’il en est. Mais le meilleur reste à venir. Par le biais du site Good People Run cité précédemment, j’ai rencontré plein de gens très sympathiques, et des sous-groupes se sont formés. Pour ma part, j’ai rencontré Ludovic qui prépare le marathon de Paris sur les bases du même plan d’entrainement et  a le même objectif que moi. Ainsi, et bien que je sois plutôt solitaire et farouche dans mon approche de la course à pied, nous avons tout de même l’un et l’autre convenu que de nous lever à 6H du matin pour aller courir chacun seul au bois, ou nous cogner nos séances de fractionnés toujours dans la solitude pouvait certes présenter l’intérêt non négligeable d’une occasion propice à l’introspection intensive mais que l’expérience touchait vite les limites du découragement, surtout lorsque la température chute en dessous de zéro. Ainsi, nous sommes partis sur un plan d’entrainement en 8 semaines, hybride entre 3.30 sur les séances longues et 3.45 sur les fractionnés ( pour ma part en tous les cas, car lui tient à la fois sur les fractionnés et les fonciers les objectifs de 3.30). Pour nous affuter quant à notre esprit d’équipe en vue du jour J, je l’ai convaincu récemment de participer avec moi au semi-marathon de Paris. Ludovic, toujours positif et enclin à répondre présent, a donc accepté:  j’ai fait en sorte de lui trouver un dossard par le biais d’un copain qui le laissait pour rien et nous convimes dès le départ que nous resterions ensemble sur une base nous permettant d’aller chercher un 1H45 de bonne augure pour l’objectif de 3H45 du marathon. Pour des raisons aussi techniques que sans intérêt, relatives à une attente interminable pour accéder à la cabine des WC, nous avons finalement rejoint notre SAS de 1H50 dans les derniers. Et lorsque le départ fut donné, nous nous sommes heurtés au premier problème majeur qui devait en grande partie nous pénaliser par la suite: rattraper le temps, dépasser tous ces gens partis sur une base de 1H50 pour essayer de recoller à notre objectif de 1H45. Evidemment, dès le premier kilomètre, nous prenons une minute dans la vue. Moi je donne la vitesse en temps réel et Ludovic contre-vérifie le passage à chaque kilomètre. Nous devons donc nous adonner à notre grande passion du fractionné pour tenter de rattraper cette minute, qui n’est déjà pas si terrible quand on considère auparavant les efforts que nous avons du faire en termes de contorsion pour nous faufiler jusque là parmi les 1H50. Les kilomètres défilent plus vite que les secondes, et nous ne rattrapons pas la minute perdue. Nous courrons donc ce début de course après cette satanée minute, une obsession, une proie qui préoccupe toute notre attention. Une minute presque incarnée que nous allons finalement réussir à, enfin, rattraper. Cette minute, nous l’assassinons sans remord et avec un grand soulagement. Nous sommes enfin sur notre base de 1H45. Mais évidemment, l’un et l’autre voulons nous assurer de ne pas nous reposer sur nos lauriers,  la minute n’est que laissée pour morte,elle peut nous rattraper à son tour, ainsi donc nous profitons des descentes pour engranger des secondes de réserve et la semer pour de bon. Toujours sans nous perdre de vue, en restant sur notre double check vitesse en temps réel pour ce que ça vaut et vérification précise au passage au kilomètre. A un moment de la course,  sans que je puisse précisément dire lequel, nous avons réussi à avoir plus d’une minute d’avance, de 5 secondes mais…C’était sans compter le 16e kilomètre qui annonce la montée dans la rue de Reuilly. Nous avons convenu de ne prendre aucun ravitaillement. Pour nous, ce dimanche, ce semi, il s’agit de nous mettre en conditions marathon et jusqu’au 20e nous voulons pouvoir tenir sans rien du tout. Alors nous ne buvons rien et ne mangeons pas davantage. Dans la montée, je sens que mes jambes mais davantage ma tête commence à me trahir.  Je doute. Ludovic le sent et se colle donc devant moi pour nous frayer cette fois un chemin, je n’ai qu’à le suivre et garder la foi. Sentant à un moment mon désarroi, il me glisse rapidement un « courage, ça ne monte bientôt plus« . Je m’accroche sans lui répondre. Nous continuons notre parcours, ultra-concentrés sur le fait de ne pas nous perdre l’un et l’autre dans la foule indisciplinée, rester sur nos objectifs, je lui donne la vitesse, et lui il me confirme les secondes de sécurité en plus sur le 1H45. Et puis au 19e, je craque. Je lui dis dans une vague de découragement: « vas-y, pars, lâche-moi, il te reste deux kilomètres, tu peux faire la différence« . Je me dis que je vais reperdre la minute mais que je peux tenir mon objectif de 1H45. Et que lui mérite d’aller chercher un 1H43 voire pourquoi pas moins encore. Mais c’est sans compter sur l’engagement passé au départ. Car dans un léger flou de fatigue, j’entends mon   pote me répondre  » ça va pas ou quoi? Je te lâche de rien du tout, on a dit: on commence ensemble, on le fait ensemble,on finit ensemble. » Alors, les deux derniers kilomètres, je n’ai pas ralenti, pas pour moi, mais pour lui, lui qui aurait pu sans aucun problème accélérer comme il le fait à l’entrainement depuis 3 semaines, il l’aurait pu, je le sais, il le sait, mais ce jour là, l’engagement que nous avions pris avait plus de valeur pour lui que sa propre réussite. Et ainsi, parce que lui n’a pas accéléré, moi j’ai mis davantage et c’est ensemble que nous avons finalement passé la ligne d’arrivée.En moins de 1H45. En respectant ce que nous nous étions fixés moralement, en nous dépassement sportivement. Au delà du résultat chiffré sans intérêt, je retiens de ce moment la valeur de l’engagement qu’à eu cette personne à mon endroit. Il lui eut été facile, dans l’euphorie du moment, de me laisser dans les 2 derniers kilomètres, pour faire sa course, considérant qu’il m’avait déjà suivie plus ou moins sur tout le parcours car lui était bien plus à l’aise qu’il ne le sait lui-même. Personne ne lui en aurait tenu rigueur et certainement pas moi, j’aurais déjà été reconnaissante du chemin fait ensemble, mais tels n’étaient pas les termes du contrat. Et alors que tout aurait été prétexte à s’en affranchir, il est resté, en se retournant pour vérifier que je ne décrochais pas. La base line de Good People Run dit, « et si la course à pied était un sport collectif?« . Hier, j’ai su que si celle-ci demeure toujours une expérience humaine, donc intrinsèquement solitaire, vécue seule au plus profond de soi, il n’en demeure pas moins possible de le faire avec un autre être humain à ses côtés. Ce n’est rien d’autre que cela être une équipe, irrémédiablement seuls, comme tout individu l’est toujours, mais ensemble.

Pour le marathon, nous avons convenu de faire nos 30 premiers kilomètres ensemble. Puis, chacun continuera selon son chemin à lui.Car c’est aussi cela la force et la symbolique de la course à pied. La liberté. On peut tout à loisir contractualiser de courir parfois ensemble, du début à la fin, et parfois de se laisser partir. Partir, mais pas se quitter. Comprenne qui le voudra ou le pourra, l’infime et merveilleuse nuance.

Relegere Vs Neglegere

Le mot religion semble avoir une étymologie discutée. Cicéron entend faire dériver celui-ci du latin relegere qui s’oppose à neglegere comme le soin et le respect s’opposent à la négligence et à l’indifférence. Je m’en tiendrai à ceci, puisque ce concept fait aussi écho à la Reliance d’Edgar Morin. En outre, lors de mon dernier article pour Zatopek je m’entretenais avec un curé coureur, spécialiste du cross et du 5000m qui officie toujours en ASICS orange. ( L’article vaut, au passage, son pesant d’or et non pas parce qu’il est écrit par votre servante mais simplement car l’homme présenté est simplement formidable).  Aussi, lui et moi devisions honnêtement sur la perte de vitesse justifiée de la religion aujourd’hui alors que l’on assiste à l’inverse à une montée en puissance d’un sport comme la course à pied. Comme le dit l’article, les évènements sportifs ont remplacés les « grandes messes » pour aller « au delà ». Les mots semblent parler d’eux-mêmes.

Lorsque j’ai découvert le site Good People Run j’ai été frappée immédiatement par leur punch line, en apparence dynamique et commerciale: « Et si la course à pied était un sport collectif ?« . La question était pourtant posée aussi subtile que vraie. Car bien au delà sans doute de ce que l’on peut en penser au premier coup d’œil, il conviendra tout de même de s’intéresser à la dimension humaine d’une pratique comme le fait de courir, seul et/ou avec un autre. Je vois, ça et là, de nombreux blogs- sur lesquels je me garde bien de porter un jugement de valeurs– qui parlent de performances personnelles, d’objectifs à atteindre, de matériel à tester le plus souvent ( je me suis d’ailleurs également livrée à l’exercice récemment), mais assez rarement de lien, ou simplement de concept comme l’engagement, la discipline ou encore la liberté. On peut cependant,  pour nuancer le propos, à l’occasion trouver de vrais récits humains de communautés, pour ceux notamment qui sont adhérents à un club ou des communautés de blogueurs.

Mais dans un monde de plus en plus relié virtuellement mais égoïste humainement, quid de l’individu dans le doute? Quid de celui qui est seul et perdu dans une existence souvent bien difficile à appréhender? Du petit, du faible, du débutant, du blessé, du mal habile? Qu’advient-il de l’athée qui n’a pas vraiment la foi absolue et parfaite mais cherche sa voie néanmoins, autrement peut-être, mais n’abandonne pas et essaye au moins de se poser des questions sur sa place ici, sur son utilité, sur ses valeurs, ses certitudes? Pour revenir à du pragmatique comme je m’égares sur des chemins obscurs, en termes de course à pied très pratiquement, tout le monde n’a pas les qualités rédactionnelles pour tenir un blog sportif, ou oserais-je le dire, puisque je m’inclus dans le lot, la prétention nécessaire pour se livrer à une telle mise en avant de soi. Là encore pas de jugement, ni reproche: une simple constatation. Tout le monde ne sait pas, n’ose pas, n’a pas le temps de tenir un blog lui permettant de trouver éventuellement d’autres brebis égarées ou copains de route au sein d’une communauté virtuelle. A l’identique, nombreux sont ceux qui n’oseront jamais pousser la porte d’un club par peur ou excès d’humilité.

C’est là où les gens de Good People Run ont pour moi soulevé un point intelligent et foncièrement humain: comment créer du lien de façon extrêmement simple, rapide, en quelques minutes, sans plus d’investissement chronophage,  entre des gens, souvent de bonne volonté mais fragiles, tenaillés par la honte, la peur voire la procrastination?

Les idées les plus simples sont souvent les meilleures. Il s’agissait de mettre à disposition un outil et laisser les gens pas à pas, créer de petits groupes. D’abord modestes, sans effusion, mais créant du lien néanmoins.  Et ironie du sort, voici une anecdote. Je suis, comme vous le savez, ambassadrice pour ce site. Ce qui signifie pour en revenir à notre analogie religieuse que j’ai la foi en leur action. Un autre ambassadeur croyant de son état, fut choisi sur Paris. Un soir, celui-ci a pris l’initiative audacieuse de saisir son clavier pour me proposer d’unir nos forces et notre inexpérience pour organiser une première sortie. Après tout, faire la messe ne s’improvise pas ! J’ai évidemment accepté avec joie cette proposition ouverte et positive et c’est alors que nous avons réalisé que nous habitions très exactement à… 177 mètres l’un de l’autre. Dans une ville comme Paris. Qu’il allait s’entrainer dans le même bois et connaissait un stade éclairé et parfait à 2 kilomètres alors que je me turlupine depuis des semaines à en trouver un à proximité. En une inscription de 5 minutes, une présentation qui n’en demande pas davantage, j’avais trouvé un compagnon d’entrainement. D’autres propositions devaient suivre, toutes aussi aisées et simples. Comme une évidence affamée.

Alors certes, j’entends d’ici les remarques vaguement désabusées. Vous me direz, comme pour les sites de rencontres amoureuses,  » ça arrive aussi dans la vraie vie, tu aurais pu le ou la croiser dans le bois !« . Oui. C’est vrai. Mais soyons francs un instant. Je fais du sport, je ne cours pas en escarpins et je ne fais pas étalage de mes maigres ressources intellectuelles à cette occasion. Qu’il s’agisse de rencontrer une copine ou un copain, avec nos bonnets, nos écouteurs, nos plans d’entrainement, franchement : quelle probabilité pour que nous parlions? Quelle probabilité pour que cela arrive « dans la vraie vie »? Précisément car faire du sport ne s’inscrit pas dans une démarche de « rencontrer » quelqu’un. On sourit tout au plus aux autres coureurs qu’on voit en difficulté, et l’affaire s’arrête là.Pourtant cela ne signifie en rien que nous n’aimerions pas de compagnie, au moins de temps en temps, simplement, chacun se contente de sa solitude, ne souhaitant ni se priver d’un moment de liberté pour soi, ni importuner un ou une inconnue qui semble ne pas en vouloir davantage.

D’ailleurs pour en finir avec cet argument fallacieux de « rencontre réelle vs virtuelle », en quoi les deux propositions seraient-elles d’ailleurs antinomiques ? Je peux toujours rencontrer une co-équipière au stade la semaine prochaine. Le lien reste et demeure réel, quel que soit le biais qui permet de l’instaurer.

A ce titre, je vous proposerai donc dans ce billet et pour conclure sur du concret, pour essayer de créer du lien la chose suivante.

Si vous passez par là, de venir nous rejoindre le samedi 9 février à 10H Porte de Saint-Cloud, pour courir certes, mais surtout nous rencontrer, dans la vraie vie, pour rencontrer d’autres personnes peut-être elles aussi en quête d’un ou plusieurs compagnons de route, surtout sur cette route hivernale, pour s’engager pour soi mais aussi ensemble, dans une épreuve solitaire et commune, tendre à un objectif intime mais aussi partagé et profiter dans le présent, dans le réel, de la présence de l’autre, en lieu et place de nos identités confinées derrière nos écrans. C’est gratuit, bénévole et simple. Il vous suffira juste de faire le premier pas: venir. La vie, Jeremy et moi se chargeront du reste 🙂

Enfin…Good People Run, en français « les gens biens courent »…Que penser de cela?J’en suis arrivée à cette conclusion qui vaut ce qu’elle vaut et n’engage que moi. Courir c’est d’abord une discipline, un contrat moral passé avec soi-même, une promesse qu’on se fait de se tenir à quelque chose, avec ou sans objectif à la clef. Il y a donc l’intention de ne pas s’abandonner, ne pas se trahir, et respecter sa parole. Soi Vs Soi-même. Et ce chemin parcouru, cette réalisation de soi permet sans doute d’acquérir une confiance intime, de mériter sa propre estime et alors, pourquoi pas s’aimer davantage. Or, en développant ces qualités nécessaires et incontournables, on comprend peu à peu que ce sont et seront les  mêmes qui demain, nous permettront d’être des gens biens vis à vis des autres, de nos amis, nos familles, les gens auprès de qui nous nous engageons.

La course à pied propose à l’homme de se confronter à lui-même pour qu’il découvre la mesure de son courage et l’estime de lui-même. La course à pied peut permettre à des gens en questionnement de trouver des réponses et qui sait, un jour, pouvoir se regarder en face dans la glace le matin, quel que soit le temps au marathon, quel que soit l’équipement, et se dire : une fois encore, j’irai à mon entrainement, qu’on m’y attende ou pas, car moi je ne me décevrais pas, je ne me décevrais plus. Des gens « bien » qui courent après l’amour, la vérité, la paix, sont légion dans le monde. Car Courir n’est pas à restreindre finalement au seul fait d’utiliser ses jambes pour avancer. Il s’agit, je pense de « courir après quelque chose », une quête de sens, une volonté farouche « d’avancer ». Il faut parfois trouver un infime moment pour se poser, savoir après quoi on veut alors précisément courir, et puis tenir, résister, endurer. Et saisir les opportunités.

Aussi, au plaisir de vous rencontrer.

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Tous les hommes sont corruptibles surtout si ces hommes sont des femmes…

Alors voila. Évidemment, je pourrais simplement me contenter de vous dire que j’ai essayé un nouveau soutien-gorge complètement révolutionnaire, et qu’il est extra-ordinaire si bien qu’il m’est venu l’irrépressible envie d’en faire un billet car je me suis envolée sur mars en l’essayant et que ma vie s’en est trouvée bouleversée. Mais afin d’élever un peu le débat et ne pas vous éconduire plus avant- et parce que ce serait vous croire par trop naïfs– je dois tout d’abord reconnaitre que l’exercice est périlleux. Évidemment, je n’ai pas acheté le dit soutien-gorge et le père noël n’a pas été plus clément à mon endroit. Aussi, c’est la maison Domyos elle même, avec l’aide de Julien de la Runnosphère, qui ont fait en sorte de générer cet échange de bons procédés, un produit offert contre un petit billet. J’annonce la couleur par souci d’honnêteté et car je pense qu’ainsi mon énoncé ne vous en semblera que plus juste et sincère.

Ainsi donc, tout d’abord, et pour commencer par du sympathique, je n’apprécie guère sa couleur rose très criarde à mon gout-pourtant déluré sur les chaussures, qui peut se voir sous un t-shirt blanc de facture moyenne- vous me direz que je n’ai qu’à m’acheter de bons t-shirts blancs épais. Certes, j’y penserai. Et au passage…Bon, non finalement rien à ajouter- vous êtes cyniques, je le sens. Sinon l’esthétique globale est assez harmonieuse, sachant qu’il ne s’agit pas d’un Victoria’s Secret, entendons-nous bien, mais d’un produit pour faire du sport. Alors évidemment, on le voit dépasser du débardeur, il n’est pas « sexy », mais dans mon cas, c’est bien le dernier de mes soucis au moment de choisir un article de sport. Je vise toujours le confort et la qualité du produit, si esthétique en plus il y a, tant mieux, mais sinon, je ne m’attends pas à des miracles d’autant qu’à la différence d’un t-shirt, d’un short ou d’un leggings, en théorie personne n’est supposé voir ma lingerie pendant que je cours…Le maintien des tissus me semblera donc toujours l’emporter sur un décolleté pigeonnant.  Mais après, chacun ses objectifs et je me garderai bien de juger les vôtres. 😉

De fait, quant à la tenue donc, je dois dire que l’article est en revanche très robuste et que cela se voit et se ressent immédiatement. De grosses bretelles, très larges, qui s’adaptent à toutes les tailles, même les bustes les plus menus comme le mien, et qu’on peut facilement arranger en X ou en parallèle, à sa guise, dégrafer par l’avant ou par l’arrière et ceci n’est pas négligeable. C’est justement un petit « plus » esthétique pour celles qui ont des t-shirts en X ou modulaires. En coton épais, oui, j’ai compris !

Le maintien au dessus de la poitrine me semble un peu léger, le dessous est en outre parfait, mais le dessus donne une légère sensation de flottement, cela ne gênera en rien les femmes qui comme moi n’ont pas eu la chance d’être fortement dotées de ce côté là par la nature, mais néanmoins, il me semble opportun de le signaler pour les autres chanceuses.

Quant au tissu, il est très doux et très agréable. Je l’ai lavé plusieurs fois, il ne bouge pas et ne se déforme pas même au sèche linge. Je cours en principe avec un Kalenji et j’y ai vu une différence en faveur du Domyos. Mais en revanche, il y a aussi une différence de prix. Le prix annoncé aujourd’hui serait de 25euros et à ce titre, je crois que je n’en aurais donc pas plus d’un, le gardant pour les sorties longues et les épreuves. S’il était davantage autour de 20euros, je réviserai sans doute mon jugement car courant 4 à 5 fois par semaine, il est évident que c’est un produit qui tourne beaucoup.

Pour finir, je tiens à remercier la maison Domyos pour son initiative et aussi Julien de la Runnosphère qui ont permis à des jeunes femmes comme moi de pouvoir bénéficier de ce produit au final très qualitatif. Et ce, même s’il m’a été offert. Comme quoi, on peut être corrompue mais tâcher de ne pas verser dans la flagornerie 🙂

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Courir dans le désert

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Certaines périodes de l’existence ressemblent à d’immenses déserts qu’il faut traverser. Le soleil y brûle cruellement en journée, la nuit y est silencieusement glacée. On trouve ça et là quelques oasis, dont on ne sait jamais trop s’ils furent réels. On reprend inlassablement la route chaotique sans certitude aucune que celle-ci finira jamais ou que les oasis précités reviendront. La soif d’espoir intarissable ne soulage guère les pieds lourds accrochés au sol, lorsque le sable s’infiltre insidieusement et entrave le déplacement. On pourrait parfois croire que des grains de sable se sont glissés dans l’âme comme celle-ci, devenue subitement trop pesante, nous démange.
Comment gratter l’âme? Je cherche encore l’outil magique. Le gratte âme qui retirerait les salissures et les poussières de nos misères pour ne laisser que l’éclat de nos joies. Noël vient, l’objet sera en bonne place sur ma liste au Père Noël puisque Dieu semble aux abonnés absents.
En attendant cette trouvaille révolutionnaire, j’ai retrouvé récemment mes Adizero, somnolentes dans le placard depuis le début de l’été.
Elles ont semblé interloquées de me voir encore en vie. Mais puisque de vie il est et sera toujours question, il convient d’en faire quelque chose, précisément.
Il est difficile de trouver un chemin quand le soleil aveugle et la nuit tétanise. Les tentatives sont maladroites. Mais qu’avons-nous d’autre à notre disposition que l’essai? La vie au quotidien, celle que nous connaissons tous, n’a aucun plan d’entrainement, nous sommes lancés dans une immense course d’endurance et certains présentent assurément plus d’aptitudes que d’autres.
Mais l’aptitude n’est pas évidemment une chance. « Quel que soit ton 100%, donne le » disait le déchu Lance Armstrong.
Je reste fidèle au rêve qu’il incarnait.
Je reste fidèle au principe de rêve, malgré les morsures du réel. Les blessures, les déchirures rendent la course plus pénible, elles font douter, mais elles ne sauraient signifier qu’il faut s’arrêter et faire demi-tour.
Petit à petit, avançons donc.
Et pour avancer plus vite, j’ai fait simple, modeste et discret. Je me suis inscrite au semi-marathon et au marathon de Paris 2013.
La nouvelle n’a plus étonné comme j’ai déjà bouclé un marathon et un semi. Et pourtant, c’est bien l’éternelle inexpérience. D’abord parce que j’ai perdu une bonne partie du peu de niveau que j’avais acquis et ensuite car les cartes ne sont plus les mêmes.
Mon premier marathon avait été préparé avec mon mari, excellent coureur et coach attentif.
Celui-ci le sera seule.
Les routes se séparent, les courses se font en parallèle et puis certains n’étaient finalement pas dans les mêmes sas de départ. Aussi, chacun devra courir selon son niveau, ses possibles, ses envies, ses handicaps et son équipement, avant de tous nous retrouver sur la ligne d’arrivée.
D’ici là donc, comme j’ai déjà commencé à le faire, il faudra sortir seule le matin avant d’aller travailler, trottiner seule dans les allées du bois le soir venu, quand il neigera à nouveau, et puis me contenter de moi-même durant les séances longues du weekend, avant de rentrer me pelotonner au chaud.
Il est bien difficile de tenir les promesses qu’on fait aux autres, mais les plus compliquées demeurent encore celles que l’on se fait à soi-même, à l’abri du jugement de l’autre, au delà de sa déception.
C’est bien de cela dont il s’agit: ne pas s’abandonner sur le bord de la route. Faire une bonne équipe dans la solitude avec soi-même. C’est aussi cet enseignement que peut offrir la préparation d’un marathon. C’est la pari que je fais.
J’ai commencé à courir pour fuir les monstres de placard. Il n’aurait pas fallu s’arrêter.
Parce que la vitesse garde le mouvement, que le mouvement protège de la chute, que chaque pas de plus raconte l’histoire, même minuscule, que reculer c’est se perdre, et que les fourmis dans les jambes font oublier les « gratouilles » de l’âme.
Subterfuges et stratagèmes. Arrangements et agencements.
Et car comme le dit le chanteur en vogue et en colère: ce qui ne tue pas rend têtu.

De la médiocrité.

Les semaines passent et le silence investit pudiquement cette place virtuelle. Je continue à écrire pour Zatopek, le journal. Dans le prochain numéro, vous trouverez un beau portrait et deux critiques d’ouvrages. Et puis en fait de course à pied, finalement? J’ai certes continué à courir, mais davantage après les vicissitudes du quotidien, cette fois. La vie est un marathon. Il convient de ne rien lâcher à la faiblesse, tout en sachant ralentir intelligemment lorsque le train s’emballe, se ravitailler aussi quand on peine trop, et ne pas désespérer face aux murs, qui surgissent abruptement.Je remercie ici les membres fidèles et investis de la Runnosphère qui ont envoyé de petits mots dans la nuit.Je pense à Sandrine, à Grégory et aussi à Giao. Je vous remercie de votre présence, de cette main tendue pour saisir le relai de tristesse.

Pour revenir à du pragmatique, j’ai repris un abonnement à la salle de sport qui jouxte mon travail, si bien que je peux aller courir avant ma journée ou couper celle-ci sans aucune pitié sur la pause midi.Il y a un ennui terrible et à la fois un réconfort insidieux à courir sur un tapis roulant.J’en arrive à une conclusion bancale, mais une ébauche d’idée néanmoins.

Peut-être que pour le moment j’aime cette sécurité là, comme si la liberté de pouvoir courir dans le vaste monde m’asphyxiait. Demain, je retournerai en forêt, c’est l’évidence, mais pour le moment, je me regarde en face, dans les glaces de la salle surchauffée, je compte les kilomètres scrupuleusement et j’écoute sempiternellement la même musique. Un ronronnement régulier, une routine disciplinée, un environnement sous contrôle, des visages familiers.Quand la réalité vacille, que tout échappe, on a parfois besoin de tangible, d’aucuns pourraient le qualifier de médiocre.En fait de sérénité, j’en appelle peut-être précisément à la médiocrité, au banal, au pauvre, à l’insuffisant. Comme un tremplin pour rebondir, comme un marche-pied vers le ciel, le temps de se rafistoler les ailes.

Au plaisir de courir ensemble très prochainement.

Vol de nuit

Avant Propos Hors Sujet

Tout d’abord, un peu d’auto-promotion et gonflage intempestif de chevilles. Je suis publiée pour la première fois dans le très sérieux et non moins très sympa magasine Zatopek. Si vous ne le trouvez pas en kiosques, notamment en province, il est toujours possible de le commander en ligne. J’y signe un modeste sujet de deux pages, relatif aux causes charitables soutenues par les coureurs à pied. Pour les prochains numéros, je participerai également mais je vous laisserai la surprise de découvrir les sujets retenus…Tout ce que je peux vous dire dès à présent, c’est que ce sera vraiment très chouette !-Et vous voilà bien avancés, assurément 😉

Par ailleurs, je profite de cet avant propos pour redire que dimanche prochain, je cours le semi marathon de Rueil-Malmaison, la ville de mon enfance, en famille et sans objectif si ce n’est de courir 21 kilomètres, et ce grâce à l’invitation gracieuse de l’organisation, par le biais de la très aidante Runnosphère ! Merci à tous  pour cette joyeuse opportunité. J’y retrouverai entre autres le grand patron survitaminé de la Runnosphère, l’ami Grégory.

Enfin, j’ai récemment fait l’acquisition d’une paire d’Adizero Adios de première génération, sur ce site de déstockage bien fourni. Les chaussures sont arrivées sans encombre, dans leur boite d’origine, sous 48H, en parfait état et j’ai donc pu le soir même aller les essayer dans le bois de Vincennes. Une réelle sensation de légèreté, une fluidité impressionnante, vraiment l’impression d’aller plus vite: ce qui n’a pas été démenti par ma montre Garmin comme celle-ci m’a révélé que j’avais, de fait, pu courir à plus de 11kms/heure pendant une heure. Vous me direz qu’il ne s’agit pas là d’une performance inouïe, même pour une toute petite souris, mais je dois confesser honteusement que depuis ma reprise en janvier dernier, je me suis mal entrainée, courant en moyenne 120 kilomètres par mois, à un rythme très doux. Et qu’en outre, je suis partie 3 semaines en Inde, ce qui n’est pas l’endroit le plus opportun pour faire des fractionnés…Si bien que 11kms/heure, c’est déjà bien, au regard des ressources actuelles, CQFD.

Et sur ces tergiversations décousues, venons en donc au fait.

Vol de nuit

Hier soir, je suis allée courir à 22H. En traversant la ville déserte pour rejoindre les allées du bois de Vincennes, je ne m’attendais à trouver personne. Il me faut tout de go préciser ,afin de vous rassurer, que je ne cours pas exactement dans le bois à la nuit tombée. Les faits divers rabâchés inlassablement dans les médias ont eu raison de mon enthousiasme originel et la crainte, après quelques bonnes frayeurs en outre expérimentées personnellement, a finalement pris le pas sur ma foulée: je me contente désormais de courir en bordure de bois, sur les voies cyclables qui longent aussi la route éclairée.

Bien que je ne rentre donc plus dans la forêt, l’odeur des arbres déborde sur les allées adjacentes. La journée passée semble comme transpirer sur le macadam chaud et le vent léger agacer malicieusement les feuilles. J’ai coupé la musique convenue de mon iPod pour écouter cette surprenante et discrète mélodie. Et puis, alors que je ne m’attendais à croiser aucune âme, j’ai vu des silhouettes arpenter furtivement les bois en trottinant, et d’autres  me dépasser sur les chemins de goudron. Moi-même, j’en ai dépassé quelques unes. D’abord étonnée, j’ai fini par quitter le vide et la torpeur qui m’habitent souvent lorsque je cours- un de mes rares moments de lâcher prise face au réel– pour me demander ce qui poussait ces gens hors de chez eux, si tardivement pour venir courir. Il y a celle qui sort son chien pour sa dernière promenade, pour celle-ci, la motivation est assez évidente. Mais que penser de cet homme entre deux âges, visiblement peu entrainé, qui traîne la patte sur le chemin et souffre dans l’obscurité? A quoi pense celui d’une trentaine d’années, le physique avenant, qu’on imagine courtier en finances et plus volontiers à un « after work » en costume couteux qu’en short élimé en train de réaliser des accélérations poussives? Et que dire de cette femme la mine fatiguée mais néanmoins souriante, qui murmure une chanson dont elle semble connaitre par cœur les paroles alors qu’elle court d’un rythme régulier, insouciante comme si nous étions un dimanche matin d’été?Et quid de ce couple silencieux qui me dépasse d’un frôlement rapide de tissu? Et ce jeune homme qui hésite entre courir et consulter son téléphone visiblement plein de messages très importants?

Il fait un peu froid maintenant, l’humidité est rapidement tombée, les voitures se font plus rares sur la route, le silence recouvre chaque chose et c’est comme si toutes ces personnes s’étaient alors entendues pour faire corps avec ce moment suspendu, comme si chacun n’était qu’un passant discret, le plus inaperçu possible, comme pour ne rien déranger, ne rien troubler, ne plus rien abimer. D’ailleurs personne ne se salue et loin d’en ressentir une quelconque amertume, une sorte d’accord tacite invite en réalité chacun au silence. Certains adresseront un regard entendu teinté d’un vague sourire, d’autres préfèreront rester dans leurs pensées. A cette heure là, pour les coureurs de la nuit, les conventions sociales n’existent plus, ou du moins la liberté prend-elle alors le pas. Au fond, pour sortir à cette heure, sans doute faut-il une bonne raison. Une raison qui se suffit assez à elle même pour ne pas souhaiter penser à davantage.

Je songe à ce que l’on laisse derrière soi lorsque l’on court, ce à quoi on tente d’échapper imperceptiblement. Je pense à ceux qui ont eu une simple mauvaise journée. Je pense à ceux qui sont plus sérieusement dans une mauvaise passe. Je pense à ceux qui, plus profondément encore, ont besoin de cette échappée là. Certains se seront peut-être brouillés avec leur conjoint, d’autres n’auront peut-être plus de conjoint, d’autres penseront à leur travail ou celui qu’ils attendent, et puis d’autres encore n’auront finalement pas trouvé le sommeil. A chaque individu son histoire, mais sans doute chacun partagera alors un but commun, bien que unique et particulier, un but hors de lui, que seule l’action pourra porter. Alors je repense étrangement à Vol de nuit et ces hommes qui livrent le courrier quoi qu’il arrive. Je repense à la solitude, si magistralement décrite par ce livre. Et j’accélère un peu ma course, sur les chemins de poussières qui me ramènent finalement chez moi, laissant à leur solitude volontaire les silhouettes à jamais inconnues et refermant ainsi le livre de mes propres errances.

Jusqu’à ma prochaine sortie de nuit.